Sibout Nooteboom
Conseiller stratégique
Du 27 au 29 octobre 2025, la Commission néerlandaise pour l’évaluation environnementale (CNEE) a organisé une réunion au Sénégal. Plusieurs dizaines de partenaires de longue date issus de dix pays d’Afrique de l’Ouest, de la CEDEAO, de l’UEMOA (deux unions ouest-africaines) et de plusieurs autorités de bassins fluviaux se sont réunis.
Ces décideurs politiques représentaient les autorités chargées des mines, de l’énergie, des affaires maritimes, de l’agriculture, de la gestion de l’eau et de l’environnement. Ils ont discuté de la manière dont ils intègrent les questions de durabilité dans leur planification du développement. Les cas qu’ils ont examinés illustrent comment une procédure telle que l’évaluation environnementale stratégique (EES) peut stimuler avec succès l’intégration, en rendant les politiques des différentes autorités plus cohérentes pour soutenir les transitions sociétales.
Ce blog est mon interprétation de ce qui s’est passé cette semaine-là au Sénégal. Il décrit comment les leaders informels tentent d’utiliser l’évaluation environnementale stratégique pour accélérer les réformes durables, car l’EES est peut-être la seule procédure qui leur permet de le faire. Ils essaient d’élargir le champ d’application du pouvoir de mise en œuvre dans le processus d’EES et de rendre la collaboration plus proactive. C’est comme de la danse contemporaine.
Les partenaires de la CNEE qui ont participé au Sénégal appliquent l’évaluation environnementale stratégique (EES) afin d’intégrer les connaissances relatives aux impacts dans la planification de leurs politiques, plans et programmes (« plans »).
Cependant, ils n’ont pas tous donné la même signification au concept d’« EES ». Après une certaine confusion, les participants ont découvert leurs différences. Certains participants, en se référant à l’EES, faisaient référence à la procédure juridique de l’EES et à ce qui doit être fait pour s’y conformer. D’autres participants faisaient référence au processus que la procédure permet, mais qui n’est pas réglementé dans la procédure : ce qui pourrait être fait – au-delà de la simple conformité.
Cette différence d’interprétation de l’EES reflétait une différence d’ambition. Beaucoup de ceux qui considéraient l’EES comme un processus se sont concentrés sur son potentiel à exercer une influence stratégique sur les plans, permettant ainsi un développement durable. Cela va au-delà de la simple atténuation des effets sociaux et environnementaux négatifs par la mise en place de normes et de standards. Beaucoup ont estimé que cette influence stratégique de l’EES était utile pour relever les énormes défis de développement en Afrique de l’Ouest, notamment la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique, la sécurité de l’approvisionnement en eau, l’emploi et la prévention des conflits et des migrations, pour tous les citoyens, dans le respect de la nature et dans un contexte de changement climatique. Un tel développement durable n’est pas seulement une question d’atténuation : il nécessite des plans complètement différents. Il ne suffit donc pas de se conformer à la procédure d’EES : c’est la manière dont elle est mise en œuvre qui importe et qui ne peut être réglementée : le processus d’EES.
Les différences d’ambition sont apparues clairement lors des échanges d’expériences entre les participants. Dix-huit participants ont présenté leur propre cas et les défis qui leur restaient à relever.
La procédure d’EES était claire dès le début de la réunion. Elle oblige les gouvernements à comparer les alternatives pour des plans spécifiques avant de prendre une décision, et à communiquer cette évaluation comme une base factuelle avec un projet de plan afin de permettre un débat public. Les gouvernements responsables doivent effectuer la comparaison des alternatives en concertation avec les parties prenantes. Les acteurs formels de la procédure sont les autorités de planification, les autorités d’EES et les parties prenantes ou le public qui doivent être impliqués. En Afrique de l’Ouest, les autorités de planification ont généralement l’obligation d’engager des consultants pour réaliser l’EES, et ces consultants doivent être certifiés par l’autorité d’EES. La planification reste toutefois la responsabilité des autorités de planification, telles que les ministères chargés des infrastructures.
Des exemples plus ou moins réussis d’EES ayant eu une influence stratégique en Afrique de l’Ouest concernent par exemple la production de gaz naturel, le zonage maritime, le développement rural intégré et l’exploitation minière. Beaucoup étaient conscients que cette influence n’était pas seulement due à la procédure d’EES en tant que telle, mais encore plus aux choix effectués par les acteurs officiels dans le cadre de la procédure. Le processus d’EES dépend des choix et des comportements individuels qui conduisent à différentes interactions entre les acteurs officiels. En fonction de ces interactions, il a été avancé que l’EES pouvait avoir une influence profonde sur le développement. Les plans peuvent souvent avoir des impacts à grande échelle s’ils sont bien mis en œuvre (ce qui nécessite que des dispositions de suivi solides fassent partie du plan). Les plans obligent leurs signataires à utiliser leur pouvoir pour intervenir sur le marché et dans la société afin d’influencer les activités humaines. Si le gouvernement veut être digne de confiance aux yeux de ses parties prenantes, les plans créent des attentes et rendent les gouvernements responsables.
Cependant, la situation devient chaotique si de nombreuses autorités élaborent leurs propres plans sans rechercher la cohérence entre eux. C’est pourquoi de nombreux participants ont estimé que l’EES pouvait contribuer à intégrer les questions transversales, telles que la durabilité, dans les plans et dans leur mise en œuvre.
Les participants étaient conscients que, face à des défis complexes en matière de développement, plusieurs ministères devaient harmoniser leurs interventions. Ils devaient donc non seulement aligner leurs bases factuelles (description du problème, développements proposés, leurs impacts et leurs alternatives décrits dans les EES), mais aussi tirer ensemble des conclusions de ces faits dans leurs plans respectifs. Cela permettrait de rendre les différents plans cohérents, voire synergiques. Ils pourraient également élaborer un plan intégré signé par tous.
« La procédure peut peut-être être copié d’un contexte à un autre, mais pas le processus. »
Mais la procédure d’EES – ni aucune procédure de planification – ne peut prescrire la manière dont cela doit être fait. C’est un choix qui appartient aux acteurs. Harmonisation, alignement, synchronisation, cohérence, co-création, co-construction : ces termes plus ou moins synonymes sont tous utilisés pour intégrer les considérations de durabilité dans la planification (les objectifs mondiaux des Nations unies ont été mentionnés pour illustrer la portée de ces considérations). La manière dont cela peut être fait dépend du contexte institutionnel et politique. On peut s’inspirer des pratiques volontaires mises en place ailleurs. La procédure peut peut-être être copiée d’un contexte à l’autre, mais pas le processus. De nombreux types de processus peuvent être légitimes, mais avoir des résultats très différents. Tous sont couronnés de succès à leur manière, mais n’ont pas tous la même influence profonde sur le développement.
Les participants à la réunion au Sénégal semblaient avoir à l’esprit différents types de processus d’EES lorsqu’ils appliquent la procédure, et se comportent donc différemment en tant qu’acteurs se conformant à la procédure. Ils semblaient diverger surl deux dimensions : premièrement, la question de savoir si le champ des alternatives doit être restreint ou large. Deuxièmement, la question de savoir si le processus doit commencer par des propositions de plans avant l’évaluation ou plutôt par une évaluation conjointe avant de formuler des propositions de plans.
En Afrique de l’Ouest, les processus d’EES dont la portée est restreinte se concentrent sur ce que le ministre de l’Environnement peut décider et, dans le cadre du suivi du plan, mettre en œuvre. Les mesures sont énumérées dans un « plan-cadre de gestion environnementale et sociale », qui fait partie de l’EES (et non du plan). L’EES est approuvée par le ministre de l’Environnement.
L’avantage d’un champ d’application restreint est qu’il ne dépend pratiquement pas de la collaboration, tant que les mesures approuvées ne nuisent pas trop aux bénéficiaires du plan. L’inconvénient d’un champ d’application restreint est qu’il n’est pas logique d’analyser des plans alternatifs qui ne relèvent pas du pouvoir du ministre de l’Environnement. Et souvent, ce pouvoir est limité, même si les alternatives au plan pourraient bénéficier du soutien politique de groupes qui sont négativement affectés par le plan. Néanmoins, une portée restreinte peut constituer un progrès majeur par rapport à l’absence de toute EES. Ce fut le cas pour un projet de production de gaz naturel. Il a permis d’établir des normes environnementales et sociales élevées pour le secteur, mais n’a pas pris en compte les impacts sur la transition nationale vers un système énergétique sûr et durable. Ce cas montre également que même avec une portée restreinte pour les alternatives, le ministre de l’Environnement dépend d’une certaine collaboration avec le ministre de l’Énergie, qui ne souhaite pas effrayer les investisseurs avec un cadre environnemental trop exigeant.
Une EES à large portée a été réalisée dans le cadre du programme de développement durable d’une zone rurale. Les communautés locales de cette zone partageaient des ressources naturelles. Elles se sont réunies au sein d’un comité temporaire afin d’élaborer ce plan ensemble. Dans l’EES, elles ont identifié les objectifs de leur population en matière de développement durable, qui concernaient principalement la gestion des ressources naturelles, la production agricole et l’emploi, en tenant compte de la croissance démographique et du changement climatique. Si le comité était l’autorité responsable du plan, le ministère de l’Environnement et son comité interministériel étaient l’autorité responsable de l’EES. Les mesures environnementales et sociales ont été pleinement intégrées dans le processus de planification et, en approuvant l’EES comme sa justification valable, l’État a donné une légitimité au plan qui, dans son ensemble, a donné une orientation au développement durable.
Sur cette dimension, l’extrême le plus réactif était la présence de deux équipes : les planificateurs et les évaluateurs. Les planificateurs soumettaient un projet de plan aux évaluateurs, qui proposaient des mesures d’atténuation. Une approche moins réactive, mais toujours pas purement proactive, consiste à avoir plusieurs itérations du projet de planification et d’évaluation entre ces deux équipes. Toutefois, à chaque itération, les planificateurs interviennent en premier, suivis des évaluateurs. Dans ces modèles réactifs, les alternatives au plan doivent relever de la compétence de l’autorité de planification qui a déclenché l’EES, comme un ministre des mines. Cela réduit la portée des alternatives, même si d’autres autorités (gestion de l’eau, infrastructures, etc.) sont consultées sur les impacts de ces alternatives.
L’approche la plus proactive en matière de collaboration était celle qui consistait à ne disposer que d’une seule équipe technique réunissant des évaluateurs et des planificateurs. L’équipe ne commence alors pas par un projet de plan, mais par une analyse conjointe du problème. Elle élabore progressivement un plan, en justifiant à chaque étape les choix effectués à ce stade au moyen d’une évaluation des options (co-création). Les choix de planification effectués et les évaluations qui les ont justifiés ont été consignés dans l’EES et utilisés pour justifier globalement le projet de plan final soumis pour adoption. L’approche proactive permet d’inviter davantage d’autorités à la table des négociations afin de co-créer une action commune dès le début.
Dans le cas du gaz naturel ci-dessus, les ministères de l’énergie (responsable du plan) et de l’environnement (responsable de l’EES) ont invité d’autres ministères ayant des pouvoirs d’exécution pertinents, comme la marine, qui était responsable de l’application de la loi en mer. Au cours du processus progressif d’analyse et de planification, les autorités co-créatrices ont découvert qui devait faire quoi pour relever leur défi commun. Le résultat n’a pas été un plan commun, mais différents plans synergiques avec différentes autorités, bien que basés sur la même EES. Il peut sembler paradoxal de qualifier cette EES de « restreinte », mais les mesures visaient toujours uniquement à atténuer les impacts environnementaux et sociaux, et le ministère de l’Environnement restait responsable de la supervision de l’ensemble de la mise en œuvre. Même cela a nécessité une collaboration complexe.
En Afrique de l’Ouest, les administrations ne sont pas toujours en mesure d’organiser la collaboration interministérielle, par exemple parce qu’elles manquent de personnel. Et même dans ce cas, elles ont besoin du soutien de consultants qu’elles ne peuvent souvent engager qu’avec l’aide des bailleurs de fonds. Cette dépendance donne aux bailleurs de fonds la possibilité de décider où les EES seront réalisées « de manière large et proactive ». Cette perte d’appropriation par les pays peut, dans certains cas, entraîner des conflits latents entre les pays et leurs bailleurs de fonds. Compte tenu du manque de capacités face aux énormes défis de développement de l’Afrique de l’Ouest, les participants ne se sont pas mis d’accord sur la priorité à accorder : établir des normes environnementales et veiller à leur application dans de nombreux secteurs de la planification, ou investir leur temps dans un nombre plus restreint de processus proactifs et larges nécessaires pour co-créer des réformes économiques durables dans un nombre plus restreint de secteurs.
Les deux dimensions des processus d’EES combinées donnent lieu à trois combinaisons extrêmes qui se produisent dans les pays participant à la réunion au Sénégal : 1) étroite et réactive, 2) étroite et proactive, et 3) large et proactive. La quatrième combinaison ne s’est pas produite, ce qui est normal car il serait peu judicieux d’investir dans l’identification de solutions à larges portée sans impliquer de manière proactive les planificateurs responsables afin de garantir leur appropriation de ces solutions.
Toutes les combinaisons appliquent une procédure juridique similaire pour l’EES. La procédure EES ne prescrit pas la manière dont le processus doit être organisé selon ces dimensions. Ce qui se passe dépend de l’intérêt de rendre l’EES large et/ou proactive par rapport au coût de mise en place des capacités nécessaires.
En fin de compte, le leadership informel au sein des administrations peut être le facteur décisif qui permet d’organiser un processus d’EES « large et proactif ». Des cas montrent comment des groupes de fonctionnaires spontanés ont convaincu leurs dirigeants politiques et leurs bailleurs de fonds de mettre à disposition des capacités pour une EES plus large et plus proactive. Comme il s’agissait d’une initiative spontanée, leurs efforts préparatoires initiaux étaient informels. Leur pouvoir de persuasion semble s’être accru grâce à leur capacité à expliquer aux décideurs de plusieurs ministères non seulement la procédure d’EES, mais aussi le type de processus collaboratif qu’ils envisagent. J’ai l’impression que la réunion au Sénégal a renforcé cette capacité : les participants ont appris par la pratique et par la réflexion commune.
« Les danseurs établissent eux-mêmes les règles et peuvent les modifier ensemble. »
Une collaboration large et proactive s’apparente à un autre type de chorégraphie. Alors qu’une EES étroite et réactive peut être comparée à la danse disco (chacun bouge à sa guise sans tenir compte des autres), une EES large mais toujours réactive s’apparente davantage à la danse en ligne (un ministère est en tête et les autres obéissent selon un ordre hiérarchique). Une EES large et proactive s’apparente davantage à la danse contemporaine (les danseurs s’accordent sur une marge d’improvisation pour s’inspirer mutuellement avec un minimum de règles). Le succès ne dépend donc pas seulement du respect des règles, mais aussi de l’improvisation dans un processus créatif où les danseurs établissent eux-mêmes les règles et peuvent les modifier ensemble. Ce processus, chaque situation étant différente, ne peut être entièrement structuré par une procédure juridique générique, ni même par une procédure ad hoc visant à relever un défi spécifique en matière de durabilité. Ces procédures ne sont qu’une plateforme sur laquelle la danse créative peut avoir lieu. Elle dépend également d’un leadership informel pour lancer la danse sans initiative descendante de la hiérarchie, et pour inciter les personnes d’autres hiérarchies à se joindre, à apporter leur corps et leur esprit, à mesure qu’elles découvrent de nouvelles interdépendances dans la co-création.
En Afrique de l’Ouest, la procédure d’EES semble être la seule plateforme formelle pour des processus larges et proactifs, légitimant cette chorégraphie « collaborative ». En l’absence de toute procédure, le leadership informel des fonctionnaires pour collaborer de manière proactive, voire pour co-concevoir de manière spontanée une procédure ad hoc à soumettre à leurs hiérarchies, est souvent considéré comme illégitime ou inconcevable. Les cas présentés au Sénégal comprenaient : les effets paysagers de la chaîne de valeur du cacao, la riziculture intensive, l’aménagement rural décentralisé, l’aménagement rural à plusieurs niveaux, le développement du gaz naturel, la réforme agraire, le zonage maritime, la gestion des risques d’inondation, la gestion des zones côtières, l’exploitation minière, les barrages et le développement de l’hydrogène vert. Plusieurs cas présentaient des aspects transfrontaliers. L’effet potentiel sur le développement durable est énorme.
Si nous pouvons apprendre à danser, nous pouvons apprendre à collaborer pour le développement durable.
Ce blog n’a pas été révisé par les participants au Sénégal. Il est donc anonymisé.
Rédigé par : Sibout Nooteboom
Photo : Collection Hans Nooteboom